Jeux barbares

L’enfant passait ses journées enfermé dans la cave. Une petite lucarne filtrait la lumière du jour mais les barreaux l’empêchaient de voir au-delà. Il ne connaissait rien de l’extérieur. Le monde entier s’arrêtait à ces quatre murs humides et gris. Pourtant, l’enfant devinait qu’il y avait quelque chose derrière la porte de son cachot car deux fois par jour, une femme descendait et lui déposait un plateau avec un verre d’eau et une gamelle de bouillie infâme. À son arrivée, l’enfant baissait les yeux et murmurait :

« Merci Maman. »

 Dans sa tête, c’était le nom de cette femme, rien de plus. Quant à lui, il ignorait s’il avait un nom. Sans doute s’appelait-il « salgoss » car c’est comme ça que Maman s’adressait à lui. De temps en temps, une autre personne, qui ressemblait à la première en plus âgée, descendait discrètement. Elle lui caressait la tête, murmurait :

« Pauvre enfant, n’en veut pas à ta maman, elle a beaucoup souffert ».

Elle lui parlait, lui montrait des objets du doigt en prononçant lentement des mots, lui demandait de répéter après elle. Il ânonnait avec difficulté  et la femme lui offrait une pomme juteuse avant de disparaitre.

La première fois, l’enfant n’avait su que faire du fruit. Il l’avait caché sous ses draps et regardé pourrir petit à petit. Puis, quand la pomme pourrie s’était collée aux draps en une trainée gluante de poils gris, il avait pleuré en songeant à la raclée qu’il allait recevoir.

L’enfant s’occupait toute la journée à regarder une araignée tisser sa toile. Il aimait la voir tendre des pièges aux mouches qu’elle dévorait ensuite. Un jour, ayant trouvé une petite boîte dans un coin de la cave, l’enfant captura l’araignée et l’enferma dedans. Puis, ayant trouvé une autre boîte, il enferma la mouche. Il cacha les boîtes sous son lit, derrière une pile de vielles loques de peur qu’on ne les lui confisque.

Quelques jours plus tard, il regarda ce qui se passait dans les boîtes. L’araignée lui parut de taille à attaquer et la mouche prête à se défendre. Il attendit encore quelques jours. Il lui fallait un récipient assez grand pour les contenir toutes deux ensembles. Il fouilla la cave de fond en comble en prenant soin de tout remettre à sa place ensuite, de peur de se faire battre encore. Il trouva sous l’évier un vieux bocal avec un fond de poudre parfumée. Il renversa le bocal dans l’évier mais la poudre resta collée dans le fond. En enfouissant sa main à l’intérieur, il parvint à gratter et jeta la poudre dans l’évier. Il prit soin de bien rincer ensuite, afin de ne pas laisser de traces.

Il déversa les deux adversaires dans le bocal qu’il cacha de nouveau sous son lit. Il attendit ensuite. Rien ne se passa les premiers jours. L’enfant décida de séparer l’araignée de la mouche, de les laisser grandir.

Et vraiment les bestioles grossirent de jour en jour, l’araignée devint de plus en plus capable de tuer, la mouche de ne pas se laisser tuer sans combattre.

Un soir, Maman le surprit sous son lit à regarder ses boîtes.

« Qu’est-ce que tu fous par terre, t’es pas assez sale comme ça ?» cria-t-elle en jetant l’écuelle de bouillie qui se renversa.

Elle le tira par le col de son pyjama sale et lui enfonça la tête dans la bouille dégoulinante.

« T ’as intérêt à tout bouffer, Même ce qui est par terre !»

Elle sortit en claquant la porte, un bout du pyjama dans ses doigts crispés. C’est alors que l’enfant pris la décision d’en finir. Pour la deuxième fois, il jeta dans le même bocal la mouche et l’araignée. Rien n’arriva.

L’enfant se vit obligé  d’échanger son bocal contre un petit aquarium qui trainait sur la vieille étagère en fer. Il regarda autour de lui et jugea que sa cave n’était pas très grande. Dans le coin, un lit étroit, un évier avec un petit placard en dessous, une petite table et une chaise au milieu de la pièce, face à l’unique fenêtre à barreaux et enfin, une étagère en fer avec un bric à brac d’objets poussiéreux. Alors, il poussa la table contre le mur, monta dessus pour bien fermer la fenêtre, plaça sa serviette et quelques loques au sol sous la porte et enfonça un morceau de bois dans le trou de la serrure. La pièce était à présent hermétique, les insectes ne s’échapperaient pas. L’enfant posa l’aquarium sur la table et y plaça les deux personnages du drame qui, très certainement, n’allait plus tarder à éclater. Il passa toute la soirée assis, les bras croisés sur la table, à guetter, les yeux confondus dans le verre de la paroi.

L’enfant savait que même si la mouche s’envolait, elle n’irait pas bien loin. Elle était prise au piège.

Les insectes ne semblaient pas s’observer. Ils regardaient au-delà du verre, semblait-il. L’enfant souriait et se demandait ce qu’ils attendaient. Il voulait voir l’araignée mettre la mouche en pièce et s’imaginait lui aussi en araignée, avec Maman-mouche. Que lui ferait-il subir ? Et si c’était lui plutôt, la mouche ?

Il se posa des questions pendant quelques heures, puis éreinté, à bout de patience, les yeux vidés de curiosité et de regard, il s’endormit.

Alors l’araignée bougea et se dirigea vers la mouche. La mouche bougea elle aussi et se dirigea vers l’araignée. Les insectes s’accrochèrent à la paroi de verre, s’évadèrent de leur prison et, en six minutes, ils dévorèrent l’enfant.

Quand la femme entra dans la cave, elle pesta d’abord contre l’enfant qui lui avait fait perdre du temps à cause du bout de bois dans la serrure. Ça méritait bien un coup de pied dans la figure. Mais, ne trouvant pas son captif, elle paniqua, fouilla la cave de fond en comble. Comment avait-t-il pu ainsi disparaître sans laisser de trace ? Elle le chercha partout, ne trouva qu’une énorme araignée et une mouche hideuse.  

Ce sale gosse était allé la dénoncer ? Pas question de moisir en prison pour séquestration. Elle retira sa ceinture, la passa autour de son cou. Puis, elle  grimpa sur la table et attacha l’autre extrémité tout en haut, au barreau vertical de la fenêtre. 

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