La Bonne Dame de Loudun

Le temps a passé depuis le procès. Après cinq années de prison, Marie Besnard, enfin acquittée, est retournée vivre à Loudun. Sa compagne de cellule, libérée quelques semaines plus tôt, l’a accompagné. Ensemble, elles sont retournées dans la maison de Marie, l’ont nettoyée, arrangée différemment, presque transformée pour qu’elle redevienne la maison accueillante d’avant, de l’époque où Marie et Léon, son époux, recevaient des amis à déjeuner, avant la mort de ce dernier et les accusations contre Marie.

Marie refusa toujours de se laisser aller au désespoir. La compagnie de Constance l’a aidé à garder la tête haute. Toutes deux évitaient de parler de leur arrestation, ne se jugeaient pas, s’acceptaient l’une l’autre telles qu’elles étaient, avec malgré tout ce doute qui les enveloppaient toutes deux. Coupables ou innocentes ? Marie n’en voulait aucunement à Constance qui avait eu une vie difficile et un mari violent. Elle se disait que si Constance avait accepté de vivre avec elle à Loudun, c’est qu’elle ne croyait pas en ces histoires d’empoisonneuse. Il était hors de question de quitter son village. Partir aurait été comme un aveu. Elle voulait prouver à tous son innocence et montrer à ses détracteurs qu’elle n’avait pas peur.

– Je n’ai jamais tué personne. Je voudrais que les autres puissent penser une minute que je suis innocente. Avoua-t-elle un soir à son amie.

– Quelle importance, maintenant ? Tu as été acquittée, non ? Répondit Constance, qui débarrassait la table.

Marie réchauffait ses mains engourdies auprès du feu.

– Acquittée, pas innocentée. Constance, j’ai décidé de reprendre contact avec ce Monsieur Pottecher, c’est le seul qui semblait me croire. Je te jure que je n’ai empoisonné personne, surtout pas mon mari que j’adorais, ni ma petite maman. Te rends-tu compte que l’on m’a accusée d’avoir empoisonné douze membres de la famille ! Et même mon cher Castor ? C’était un si bon chien. Si ça avait été pour l’argent comme ils l’ont souvent dit à la télévision, je n’aurais pas tué un chien ! Pourquoi s’est-on acharné sur moi ?

– Je parie que c’était ton ancienne amie. D’ailleurs elle a disparu sans laisser de traces, n’est-ce pas ?

– Louise Pintou…

– Sans vouloir t’offenser, je suis sûre qu’elle était la maîtresse de ton homme.

Marie eut un petit rire sec.

– Je ne crois pas que Léon m’ait trompée. On s’aimait, tu sais ? J’ai aimé mes deux maris. Tu n’as pas eu beaucoup de chance de ce côté, ma petite Constance. On ne va pas tuer son mari juste parce qu’il nous trompe.

– Ni notre belle-mère encombrante, s’esclaffa Constance.

– En voilà une qui aurait bien mérité d’être empoisonnée, mais je ne l’ai pas fait.

– M’est d’avis que cette Louise Pintou aurait bien mérité  un peu d’arsenic dans sa soupe.

– On me regardait comme une bête sauvage, poursuivit Marie. Constance, pourrais-tu m’aider à retrouver ses coordonnées ? Monsieur Pottecher m’avait déjà contacté pour un article, il y a vingt ans déjà. Il était chroniqueur judiciaire et doit sans doute l’être encore. C’est le seul en qui j’ai eu confiance. Il m’a semblé honnête et avait l’air de me croire. Je ne suis pas l’empoisonneuse de Loudun. Mon seul désir c’est que mon nom soit réhabilité. Pour l’honneur de ma famille. Pour mes parents que j’aimais et que je n’ai certainement pas tués. J’ai laissé passer trop de temps. J’en avais assez de ces interviews qui ne menaient à rien. A présent, j’ai pris du recul et je vais rétablir la vérité, dussé-je y passer le restant de mes jours. Finalement, tu vois, je suis bien heureuse de ne jamais avoir eu d’enfants. Quelle vie leur aurais-je donné ? Mon histoire aurait pu être celle de n’importe qui. Méfie-toi des petites gens et de leur jalousie. Je ne leur pardonne pas le mal qu’ils m’ont fait mais je ne leur en veux plus.

Marie se tut, fatiguée d’avoir tant parlé. Constance posa une tisane bien chaude devant elle et s’assit à ses côtés. Elle lui prit la main.

– Après ma sortie de prison, tu t’es occupée de moi comme une mère. Je n’avais nulle part où aller et tu m’as accueillie sans rien me demander. Demain, je t’aiderai à contacter ce monsieur et tu lui demanderas de continuer les recherches. Il travaille peut-être encore pour le même journal. Il faudrait aussi essayer de mettre la main sur ton ancienne copine et lui faire avouer. Mais maintenant, bois ta tisane et repose-toi un peu. Ne pense plus à tout cela, ressasser le passé va t’empêcher de dormir. Un jour, tu verras, une nouvelle histoire attirera l’attention des villageois et ils oublieront celle qu’ils appelaient « l’empoisonneuse de Loudun ». Pour moi tu resteras toujours «  la Bonne Dame de Loudun ».

Marie souffla sur sa tasse brûlante et but à petites gorgées sous le regard bienveillant de son amie, puis alla se coucher. Elle fut réveillée au milieu de la nuit par de vives douleurs à l’estomac. Elle voulut se lever mais était comme paralysée sur son lit. Dans un dernier râle, il lui sembla apercevoir la silhouette de Constance, à la porte de sa chambre. Elle souriait mais ne venait pas à son aide. Marie n’eut pas la force de l’appeler au secours.

-Dans le fond, nous sommes pareilles toutes les deux, murmura Constance en refermant doucement la porte.

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