Le Fado de Dom Sebastião

Dom Sebastião regarda par la fenêtre. Le cavalier noir se tenait toujours là, immobile depuis une semaine. Bien droit sur son cheval noir, les mains croisées sur le pommeau de la selle et la tête relevée en direction des appartements royaux. Personne ne connaissait son identité. On ne pouvait voir son visage, inondé de soleil le jour et baigné d’ombre le soir. L’inconnu refusait de s’en aller sans avoir parlé au jeune roi.

Au bout d’une semaine, Dom Sebastião, lassé, finit par lui accorder une audience et fut tout de suite subjugué par la grâce de la révérence puis par la chevelure noire et soyeuse tombant  sur les épaules fines du cavalier. Ce dernier releva la tête et le roi aperçût sa bouche parfaitement dessinée et ses longs cils recourbés.

« Majesté, vous devez renoncer à cette guerre en Afrique. Vous ne trouverez que défaite et mort à Alcácer Quibir.

‒ Qui es-tu ? s’enquit le roi. Je n’ai pas d’ordres à recevoir. Personne ne peut m’empêcher de conquérir l’Afrique et de propager la foi chrétienne. Disparais !

‒ Majesté, j’ai le don de lire l’avenir. Si vous persistez dans vos dessins, le malheur s’abattra sur la ville et sur vous.

‒ Hors d’ici tout de suite ou je te fais mettre au cachot. »

Le cavalier noir hocha la tête et se retira sans un mot.

Les jours qui suivirent, tandis que les premières galères voguaient vers Tanger, un incendie ravagea un quartier de Lisbonne. Le feu se propagea rapidement, attisé par des vents inhabituellement violents. Les lisboètes se relayaient pour tenter d’éteindre les flammes. Certains fuyaient leurs maisons, paniqués, d’autres en profitaient pour piller ce qui n’était pas encore parti en fumée. Le feu était à peine dominé, qu’une terrible inondation emporta les maisons aux abords du Tage. Le désastre s’abattait sur la capitale. On dénombrait des milliers de morts, hommes, femmes, enfants. Les prêtres parlaient de châtiment divin : ils ordonnèrent les tortures et les mises à mort des hérétiques dans les quartiers maures et juifs. Lors de processions aux allures macabres, ils enjoignaient tous les fidèles à faire pénitence et à acheter des indulgences. Puis, ce fut au tour de la peste de frapper.

Dom Sebastião profita de la situation pour réaffirmer son désir de croisade. Si les malheurs qui survenaient étaient une punition divine, il fallait partir propager la foi chrétienne. Son seul vrai souci était d’étendre ses possessions au Maroc afin de retourner au Portugal couvert de gloire. Pour cela il était bien décidé de commander à la tête de ses troupes et partit sans plus attendre rejoindre son armée.

La ville d’Asilah fut vite soumise au gouverneur portugais de Tanger, ce qui emplit d’espoir tous les membres de l’expédition. Le camp fut installé à Alcácer Quibir, de là, les portugais continueraient en direction de Larache.  

Une nuit, Dom Sebastião fut réveillé par un hennissement étrange. Devant sa tente, il reconnut le cavalier mystérieux de Lisbonne. Le visage entièrement recouvert, seuls ses yeux noirs et perçants semblaient rivés vers lui. Un regard teinté de mélancolie. Comment avait-il pu le suivre jusque-là ?

Fantassins, cavaliers et soldats réunis, les portugais lancèrent l’offensive. Dom Sebastião monta à l’assaut avec l’avant-garde. Les épées resplendissaient dans le soleil du désert, les écussons bariolés et les bannières dansaient dans le vent. Face à eux, se trouvait l’armée d’Abd-Al-Maalik, supérieure en nombre. Les maures, sabres en main attendaient. Ils défendraient leur terre jusqu’à la mort. Le combat commença dans un bruit assourdissant. Le hennissement des chevaux se mêlait au tintement des armes. Des têtes coupées roulaient à terre dans un nuage de poussière. Le sang giclait et le sable soulevé par le piétinement furieux enveloppait les guerriers dans un nuage épais. Une odeur âcre de sang, de sueur et de peur se répandait aux portes de la forteresse d’Alcácer Quibir. Soudain, au milieu du tumulte, le cavalier noir apparût, immobile et sans arme. Une main sur le pommeau de sa selle et le bras tendu vers le roi. Dom Sebastião fut le seul à le voir. D’un mouvement de tête, le cavalier fit tomber le turban qui lui recouvrait le visage. Subjugué par le parfait dessin de ses traits d’où émanait une force peu commune, le roi perdit toute résistance et tandis que tout semblait avoir disparu autour de lui, suivit docilement l’inconnu.

La bataille fut une hécatombe. Les portugais, vaincus, comptaient leurs pertes. Aucune trace de Dom Sebastião. Ils crurent d’abord qu’il avait été enlevé par les maures et se résignaient à payer une rançon. Mais il n’y avait ni otage ni corps. Un triste équipage d’une centaine de survivants à peine, retourna à Lisbonne sans leur monarque, abandonnant derrière eux leurs rêves de conquête.

On raconte encore que certains soirs à Lisbonne, on peut entendre les pas de chevaux au sortir de l’estuaire, et distinguer dans la brume, la silhouette de deux cavaliers qui marchent côte à côte en direction du palais.

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