Le palimpseste du Diable

José Santos

Monastère de São Bento

São Paulo, Brésil

Commissaire Raimundo Viera Barbosa

Police Municipale

Av Atlântica, 2450

São Paulo SP 04772-000

São Bento, le 6 juin 2009

Commissaire,

Je vous écris depuis ma cellule du monastère. J’espère du fond de l’âme que cette lettre vous parviendra. J’ai négocié avec mon geôlier : cette lettre en échange de ma montre en or. À quoi me sert-elle à présent ? Tout s’achète. Ma vie était sans doute tracée. Mais peut-on faire quelque chose contre la prophétie ?

L’année dernière, les recherches pour le projet de mon dernier roman m’ont conduit à la poursuite d’un mystérieux manuscrit, la Coena Cypriani, un livre tueur qui nous est parvenu intact et en d’innombrables copies depuis Moyen-Âge.

Je n’ai pas réussi à m’en procurer une copie sur Ebay, mais j’ai suivi sa trace.

C’est ainsi que pendant quinze mois, j’ai voyagé en Europe et sur tout le continent américain pour finir au Brésil. Chaque fois, le livre m’échappait, laissant derrière lui le sillage de morts que vous connaissez.

Cela fait un mois que je suis enfermé ici. J’ai enfin posé mes yeux sur le manuscrit. On raconte que la Coena Cypriani, est un ouvrage du poète Cyprien, moine Byzantin, se moquant des écritures saintes. Je pensais, dans ma naïveté, que l’ouvrage avait été dissimulé pour hérésie. À première vue, on dirait une imitation burlesque des évangiles. Pourtant, quand on parvient à en déchiffrer les passages en rouge, à peine effacés par les lettres esquissées par-dessus, l’horreur nous frappe en plein cœur. Tous ces universitaires et chercheurs morts mystérieusement n’ont pas été assassinés par un homme. Ne cherchez pas un coupable vivant, cherchez plutôt les volumes de la Coena Cypriani qui ont été divulgués. Brûlez toutes les copies et enterrez le manuscrit original au plus profond de la terre. Il est indestructible. Les flammes ne peuvent en venir à bout car il a été écrit par Satan lui-même. L’encre n’est rien d´autre que le sang des victimes gravé sur un parchemin en peau humaine.

Quand Pythéas le Grec a découvert le manuscrit à Florence, il a tenté de le détruire et on l’a retrouvé mort écorché vif. Ce crime, jamais élucidé aurait dû nous mettre en garde. Chaque regard que l’on pose sur ce manuscrit ou une de ses copies ne fait que rapprocher la venue sur terre de la bête immonde. Plus on commet d’atrocités ici-bas, plus notre séjour dans l’au-delà sera supportable. L’Apocalypse est proche. Il suffit de voir le comportement des hommes pour comprendre que le diable n’est jamais loin.

Le moine Adso, élève de Guillaume de Baskerville, est le seul à être parvenu à déchifrer et traduire le texte original sans périr dans d’atroces circonstances. Sa punition fut pire. Il ne peut mourir. Les moines sont à sa recherche. Trouvez-le. Il se cache toujours en Italie, sous un nom d’emprunt qu’il doit changer régulièrement. Lui seul peut vous aider.

Vous souriez sans doute en pensant qu’Adso n’est qu’un personnage de roman sorti de l’imaginaire d’Humberto Eco. Le nom de la rose n’est pas une œuvre de fiction. Aucun roman ne l’est. Les meilleures œuvres ne sont que des mots soufflés par les démons. Une fois sur papier, les personnages prennent vie et se retrouvent prisonniers des limbes. Vous et moi ne sommes rien sinon des personnages inventés de toutes pièces par le malin. Pourquoi sommes-nous maintenant des pions dans la même histoire ? Adso peut vous donner la réponse. Il s’est échappé de son auteur. Voilà le secret de la vie éternelle. Mais comment s’échappe-t-on ? Trouvez Adso et sauvez le monde des griffes de Satan.

Vous pensez que je délire, enfermé dans ma cellule. Les moines de São Bento qui me maintiennent ici, sont des adeptes du Diable. Ils cherchent dans la Coena Cypriani le secret de l’éternelle jeunesse. J’ai maintenant la preuve de l’inexistence de Dieu. Seul Lucifer, le porteur de lumière, est. Chaque supplicié ajoute un verset à son évangile. Le manuscrit n’est pas terminé. Les misères humaine et animale sont pour lui des divertissements. Ce qui nous attend dans l’au-delà dépasse l’entendement. C’est lui qui a créé toutes les guerres, grâce à des émissaires qu’il envoyait sur terre.

Adieu commissaire, ne cherchez pas un assassin ailleurs que dans la Coena Cypriani même. Aidez-nous avant qu’il ne soit trop tard.

JS

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut