Le vert paradis

 -Je ne veux pas partir !

-Ma petite, tu n’as pas le choix, on ne t’a pas demandé ton avis.

Ma mère est énervée, elle trie nos jouets et empile les plus gros dans le jardin. Je ne comprends pas d’où vient cette frénésie, cette envie soudaine de se débarrasser de nos affaires et de nous.

La journée avait pourtant bien commencé, c’était le dernier jour d’école. Je savourais un paquet de Taytos sur le chemin de la maison. Je me sentais grande quand je quand je rentrais seule avec ma sœur.  Elle ne m’obligeait pas à lui tenir la main comme le faisait toujours maman. Elle se tournait juste vers moi de temps en temps pour me demander d’avancer plus vite.  Mais je ne pouvais pas, j’étais trop occupée à lécher mes chips une à une. Nous avions droit tous les jours à un paquet de chips, une briquette de lait et une pomme pour notre goûter. Nous attendions toujours la sortie  pour manger pour ne pas partager avec les enfants affamés qui se ruaient sur nous dès qu’ils apercevaient le paquet bleu et rouge à la patate souriante. 

-Je veux rester ici !

Je sanglote. Ma mère pousse un soupir agacé. Nous étions à peine arrivées, quand maman nous a annoncé que le lendemain nous partions pour la France, seules, ma sœur et moi. Papa et elle resteraient à Dublin pour s’occuper de la maison. En Septembre, nous irions dans une nouvelle école, à Paris.

-Et Aramis ? demande Elise.

Je n’entends pas la réponse tellement je suis bouleversée. Pourquoi devons-nous quitter Dublin ? Pourquoi une telle précipitation ?

Les voisins, tout contents, sont invités à se servir dans le jardin. J’en vois un ramasser ma guitare et un autre, ma peluche Bambi qui est si grande qu’il s’en sert comme d’un poney. C’est ma plus belle peluche. J’aperçois, dans le tas certains de mes jouets préférés, mon mange-disques orange, mon dauphin à roulette qui laisse des empreintes de poissons dans le sable. Il n’y a pas de plage à Paris, à quoi me servirait-il ?

-Je vous déteste, je veux plus jamais vous parler !

Je sers les poings et je monte les escaliers en courant pour me réfugier dans ma chambre. Aramis me suit en aboyant. Je ferme la porte derrière lui. A genoux, je le caresse en pleurant. Il me lèche le visage, comme s’il voulait essuyer mes larmes. A moins que ce ne soit les restes de chips collées à ma figure. Se rend il compte de la situation ? Moi-même je me sens perdue et personne ne veut m’écouter et m’expliquer ce qu’il se passe. J’ai l’impression que les parents s’en fichent de nous. Je suis furieuse de ne pas avoir été prévenue, qu’on ne m’ait même pas demandé mon avis, qu’on ne nous ait pas consultées, Elise et moi sur ce départ soudain. Evidemment, je ne veux pas quitter Dublin. Je ne suis encore jamais allée en France, je ne me sens pas française. Les adultes n’ont pas de cœur. Comment peuvent-ils se débarrasser de leurs affaires, de leurs enfants, et même peut-être de leur chien, comme ça, sans regret, comme s’ils s’agissaient de vieux vêtements trop petits ?

-Toi aussi, Aramis, ils vont t’envoyer ailleurs ! Je parie qu’ils vont te donner à un voisin, comme Bambi. J’aimerais que tu viennes avec nous. Qu’est ce je que je vais faire sans toi ?

Cette nuit-là, je me réfugie dans le lit de ma sœur. Nous ne dormons pas. Elle me raconte des histoires et j’écarquille les yeux pour ne pas pleurer. La chaleur du corps d’Aramis allongé sur mes pieds me réconforte un peu. C’est le seul qui parvient à dormir, insoucieux de tout ce qui se passe autour de lui. J’ai des fourmis dans les jambes mais je n’ose pas bouger, je ne veux pas le déranger.

Le lendemain, ma mère nous accompagne, à l’aéroport. Elle a l’air fatiguée, absente, pressée de partir et de nous abandonner. Elle nous souhaite un bon voyage, je tourne la tête pour ne pas répondre. Je ne veux pas lui laisser le plaisir de voir mes larmes. Elle embrasse Elise.

-Occupe-toi bien de ta petite sœur et embrasse tes grands-parents pour nous. Soyez sages, les filles !

 Du coin de l’œil, je la vois s’éloigner, le dos vouté, Je lui en veux. Je refuse de voir que ses yeux sont cernés, qu’elle a vieilli tout d’un coup et qu’elle aussi a l’air triste, presque hagard. Nous partons seules, ma sœur et moi pour toujours. Que vont faire les grands-parents ? Nous les connaissons à peine. Ils sont trop vieux pour s’occuper de nous et vont nous envoyer ailleurs, eux aussi. Elise me prend la main tandis qu’une hôtesse nous passe une pancarte autour du cou. « Enfant non-accompagné. » Je me demande ce que nous avons fait de mal. Je fouille dans ma mémoire, cherche des indices mais je ne trouve rien. L’hôtesse nous installe au premier rang dans l’avion. Avant le décollage, elle s’assoit en face de nous. Elle sourit. Elle doit avoir pitié de nous.

La tête appuyée contre le hublot je contemple Dublin qui brille de reflets dorés avant de disparaitre derrière un nuage. Je ne sentirai plus jamais ce parfum d’herbe fraîche après une averse, je ne verrai plus toutes les saisons défiler en une seule journée, semant de nombreux arcs en ciel. J’aimerais être irlandaise pour pouvoir rester ici toujours. Mais les parents sont français. Ils ne nous ont jamais dit qu’ici, ce n’était pas chez nous. Je me sens chez moi pourtant, et je sais déjà que ce ne sera jamais le cas à Paris. Je me demande alors à quel pays j’appartiens.  J’ai la tête qui tourne et du mal à respirer. Je me tourne vers Elise et je lui dis :

-Puisque maman ne m’écoute jamais et que papa n’est même pas intervenu, c’est pas la peine de parler, je ne dirai plus jamais rien. 

Ma grande sœur me serre fort dans ses bras, elle se sent responsable, elle sait qu’elle doit me protéger. Je n’ai que sept ans et je ne sais pas encore tout ce qui se passe dans sa tête, qu’elle aussi se sent déracinée. Je remarque alors qu’elle porte sa veste avec le logo de l’école, comme s’il s’agissait d’un jour comme les autres.

-Je vais tout faire pour pouvoir revenir un jour, je te le promets. 

 Je hoche la tête mais je ne réponds pas. C’est fini, je ne parlerai plus.

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