Ma plus belle histoire d’amour

– Il ne pleure pas ? avais-je demandé au moment de sa naissance.

– Vous voulez qu’il pleure ? avait répondu la sage-femme et, tout de suite, elle lui avait assené une tape sur les fesses. Elle le tenait encore la tête en bas et j’entendis un grand cri. Une fois essuyé, emmailloté, elle le déposa dans mes bras.

– Vous êtes dure, quand même, à vouloir qu’il pleure, la vie n’est pas assez triste comme ça ? rigola-t-elle.

– Ils pleurent toujours au moment de la naissance, m’excusai-je.

– Au cinéma, oui. Dans la vraie vie, pas forcément.

Dans le couloir, le papa tremblait, encore sous le choc, comme si ça avait été lui à faire tout le boulot.

Nous étions le huit mai, alors, forcément, nous l’avons appelé Victor. Entre la grève du personnel soignant et le jour férié, il n’y avait pas grand monde dans l’hôpital. Personne pour m’aider à lui donner son bain et je n’avais encore jamais rien tenu de si frêle dans mes bras. Mes gestes étaient gauches et j’avais peur de le briser à chaque manipulation. Pourtant, quand une nouvelle infirmière entrait, elle souriait et me félicitait :

– On parle de vous partout, vous êtes la plus petite maman et vous avez pondu le plus gros bébé de la semaine. Je peux voir le monstre ? riait-elle en soulevant Victor pour le peser, l’ausculter et noter des numéros sur la feuille accrochée à son berceau.

– Quatre kilos !

– Je les ai senti passer, répondis-je encore épuisée par la découverte des forceps. La péridurale, c’etait un mythe?

Je pensais que j’allais enfin pouvoir dormir, chose que je n’avais pas pu faire depuis le dernier trimestre de grossesse mais, non, ce n’était plus le poids énorme sur le ventre mais l’inquiétude qui me tenait éveillée. Je le touchais tout le temps pour m’assurer qu’il respirait encore. Dès que je somnolais, je me réveillais paniquée à l’idée qu’il ne soit plus là. J’allais être une mère insomniaque, toujours inquiète pour son enfant. Je me consolais en me disant que dans 18 ans, je pourrais dormir.

À peine ouvrait-il la bouche que j’accourrais. Je ne pouvais pas le laisser une seconde. Il grandit tout doucement d’abord, puis de manière accélérée. J’étais admirative de tout, anxieuse aussi.  Impuissante face à la moindre fièvre, aux coliques. A deux mois, je l’emmenais pour son premier voyage. Il était temps de rencontrer la famille. Arrivés à l’aéroport de Shannon, je le tins à bout de bras, pour que son premier souvenir, soit le bleu du ciel irlandais et le parfum de l’herbe après une averse.

-Qu’est-ce que tu fais ? demanda son père.

– 50% Irlandais, 25% Breton, je veux qu’il prenne conscience de son âme celte.

– Avant que te ne me le circoncises, avec ses 25% juif ?

Je voulais lui offrir une patrie à emmener avec lui partout, moi, mon pays n’a pas de frontière.

Victor apprit à marcher. D’abord avec sa petite main bien serrée dans la mienne. J’aurais voulu ne jamais la lâcher.

-Il faut que tu l’inscrives à la crèche, que tu penses à reprendre le travail, me disait-on.

Non, je ne peux pas imaginer la vie séparée de lui. Encore maintenant, j’aime coller mon nez dans son cou pour sentir son odeur, sa présence rassurante.

Finalement, avec l’arrivée de son petit frère, j’ai dû consentir à laisser Victor aller à la cantine. Depuis le temps qu’il le réclamait. Il adore l’école et passer du temps avec ses copains. C’est dans l’ordre des choses. Les enfants doivent grandir. Mais pas trop vite quand même et je vais vite regretter ces moments, le matin, quand il frappe à la porte de notre chambre pour nous faire un câlin, talonné par Sacha, toujours son doudou à la main, qui veut absolument tout faire comme son aîné.

-Vito, Vito ! crie-t-il tout le temps. Alors, Victor se retourne et l’attend.

Un soir, je m’apprête à sortir en amoureux avec leur père. J’ai le cœur lourd de les laisser, mais il est grand temps d’apprendre. Victor me regarde me maquiller.

-Daddy veut que tu te dépêches, crie-t-il joyeusement.

-Dis-lui deux secondes, dis-je en appliquant mon rimmel devant la glace.

-Deux secondes, crie-t-il sans cesser de me regarder.

-Pourquoi tu te peints ? demande-t-il.

-Pour être plus jolie.

Je referme le tube, le pose sur le rebord du lavabo, fais volte-face et demande :

-Comment tu me trouves ?

-Un tout petit peu moche, répond-il en haussant les épaules.

J’enfile ma veste, mon écharpe et mes escarpins inconfortables. J’ai déjà mal au pieds. Tant pis il faut souffrir pour être un tout petit peu moche. J’espère juste que je n’aurais pas trop à marcher.

Je serre Victor dans mes bras et lui plante un gros bisou dans le cou, là où il sent si bon. Sacha se met entre nous deux, nous demande de l’écrabouiller le plus fort possible et il éclate de rire. Ils sont si souriants, confiants. Je tourne les talons, cligne des yeux et j’enfile mes lunettes noires, celles qui cachent mes émotions.

Je me regarde une dernière fois dans la glace, pas certaine d’être prête. Je peste contre Henri Salvador et sa chanson débile sur sa maman, la plus belle du monde. Quel menteur ! Sacha me tire de ma rêverie.

-Tu te rappelles, quand je voulais tout le temps être écrabouillé ? lance-t-il.

Je ne veux pas qu’ils voient mes larmes, alors je blottis de nouveau ma tête contre la poitrine de Victor et cette fois, c’est Sacha qui sert le plus fort possible. D’où lui vient cette force ? Leurs deux cœurs battent à l’unisson. Tout ira bien, il faut que j’arrête de me faire du souci sans arrêt. Jaimerais rester comme ça pour toujours.

-Maman, faut y aller, murmure Sacha.

Victor le tire par le bras.

– Allez, à plus !

– N’oublie pas qu’il faut étudier, pas juste t’amuser. Recommande son père, toujours sérieux.

– Je n’ai pas vu le temps passer, dis-je sans parvenir à retenir un sanglot.

– Dublin, c’est pas loin, il nous quitte pas, il va juste à l’université et il sera avec son frère.

– Et qu’est-ce que je vais devenir, moi, sans vous ?

– Une vieille, répond Sacha et ils disparaissent tous deux derrière la porte d’embarquement. Cette fois, je pleure tout à fait.

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