Maxima Culpa

Le père Marius avait quitté son diocèse du Midi et s’était retrouvé dans un coin perdu au fin fond de la Bretagne. Le bout du monde, pensait-il. Cette paroisse de Plougastel-Daoulas était le bon endroit pour faire pénitence. Cependant, il regrettait le soleil de Provence où même le mistral lui semblait plus doux que ce terrible vent noroit et ce crachin permanent. Mais il ne se plaignait pas et venait en aide à tous ses fidèles. C’est ainsi qu’il avait accepté d’aider une petite à réviser son latin.

-Latet… anguis… in herba…comment traduirais-tu cette phrase ?

Cécile ne répondit pas. Elle leva les yeux vers le prêtre, un crayon mâchouillé dans la bouche. Quand elle le regardait ainsi avec ces yeux bleu profond, Marius se trouvait mal. Il avait envie de prendre ce visage poupon entre ses mains et de le caresser. Pas tout à fait adulte, mais déjà plus une enfant. Se rendait-elle seulement compte de l’effet qu’elle lui faisait ?

Il détourna le regard, toussa un peu pour relâcher la tension et s’assit vivement, la main sur le ventre pour éviter ce désir qui montait en lui. Il croisa les jambes et poussa sa chaise bien contre la table. Dieu est en train de me tester avec cette enfant. Mon père, ne me soumets pas à la tentation. J’ai fait vœu de célibat, je tiendrai bon, se répétait-il. La sueur perlait à son front.

Le crayon encore entre les lèvres, Cécile se redressa sur son siège. Il aperçut alors poindre un début de poitrine.  Mon Dieu, pardonnez mes égarements.  Il fouilla sa poche à la recherche d’un mouchoir, se racla la gorge, et tamponna son front brûlant. Pourquoi ai-je accepté d’aider cette petite ? Marius, ta bonté te perdra. Certaines personnes te sont peut-être envoyées par le diable, afin de mettre ta Foi à l’épreuve.

-Un serpent…heu…dans l’herbe ?

La petite voix le tira de sa rêverie.

-Pardon ? qu’as-tu dit ?

Le crayon sortit doucement de la bouche. Mon Dieu, ce geste !  Cette bouche ! Comme j’aimerais être celui qui lui donnera son premier baiser. Non, elle est trop jeune pour cela encore. Je vais bien la sermonner pour m’assurer qu’elle n’approche pas de ces garçons mal intentionnés. Moi, en revanche, je ne recherche que son bien. 

-Un serpent…agit ? …dans l’herbe ?

-Réfléchis bien, voyons, Cécile. Que font les serpents dans l’herbe ?

Elle haussa les épaules et se mit à balancer ses jambes nues sous la table. Ses pieds ne touchaient pas encore le sol. Le prêtre entendit des pas et se leva brusquement. Il faut que je marche un peu. Que m’arrive-t-il donc ? Penché en avant, la main sur le ventre, il s’éloigna de la table à grand pas et ouvrit la fenêtre pour respirer l’air frais.

La mère de Cécile entra dans la salle à manger.

-Vous allez bien, mon père ? demande-t-elle, le voyant, dos tourné, le nez à la fenêtre, prenant de grandes inspirations.

 Elle a remarqué quelque chose. Il faut que je me calme. Il s’essuya à nouveau le front puis tira un chapelet de sa soutane.

-Oui, oui, merci. Juste une petite crampe à l’estomac. J’ai dû manger trop vite, ce midi.

Il resta face à la fenêtre.

-Voulez-vous une camomille ou un verre de cidre pour vous soulager, mon père ?

-Un tout petit verre de cidre serait parfait, merci beaucoup.

Elle sortit. Le père Marius retira son chapeau et le tint contre son bas-ventre avant de vite retourner s’assoir à côté de Cécile.

Il posa son index gras et boudiné sur le cahier de l’enfant.

-Anguis, signifie il se cache. Cécile, tu as surement déjà aperçu des serpents dans ton jardin.

Elle hocha sa jolie tête et une petite boucle blonde tomba sur son front. Malgré lui, sa main s’attarda sur cette mèche et la lui repassa lentement derrière l’oreille. Quelle douceur ! Elle avait les cheveux d’un ange. De savoir tant de beauté dans un objet inatteignable, un fruit interdit, la rendait plus désirable encore.

La mère de l’enfant entra de nouveau, une bolée de cidre à la main, la bouteille sous le coude et quelques galettes dans une petite assiette ébréchée. Marius retira son bras à toute vitesse et serra fort son chapelet.

-Tenez, mon père.

Elle posa la bolée et les galettes sur la table, servit le prêtre et laissa la bouteille devant lui.

-Bon, où en étions-nous ? demanda le père Marius en toussotant.

-Vous êtes certain que ça va, mon Père ? Vous êtes tout rouge. Vous n’avez pas attrapé froid, au moins ?

-Ne vous inquiétez pas pour moi, merci Rozenn. Juste un petit mal de ventre, ça va passer.

-Assez de version pour aujourd’hui. Nous allons réviser les trois premières déclinaisons, ensuite, réciter un Pater et ce sera tout pour aujourd’hui.

Il contempla le liquide doré de la même couleur que les cheveux de la petite Cécile. Il but d’une traite et se resservit.  Cela lui réchauffa la gorge et l’aida à dissoudre ses pensées un instant. Il n’entendit pas les déclinaisons que Cécile récita tout bas. Il était trop troublé.

En apercevant Rozenn debout près de la porte il joignit les mains en signe de prière.

-Pater Noster qui es in caelis…un peu plus fort ; Cécile, je ne t’entends pas !

La prière terminée, il se releva avec difficulté, serrant fort son chapeau contre son bas-ventre. Le chapelet tomba au sol.

-Cécile a eu bien des difficultés à se concentrer aujourd’hui, soupira-t-il sans conviction, pour dire quelque chose.

-La prochaine fois, je l’enverrai chez vous, mon Père, vous serez bien plus à l’aise.

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