Mystère de Paris

Jupiter arriva sur le parvis de Notre-Dame et annonça que la pièce commencerait sitôt le cardinal arrivé. La foule, qui perdait patience, se mit à crier :

– Le mystère, tout de suite !

Quelques voix se hissèrent par-dessus les autres :

– À bas Jupiter et le cardinal de Bourbon !

– La corde aux comédiens et au cardinal, répéta la foule.

Le pauvre Jupiter effaré, tremblait en balbutiant, de peur d’être pendu par la populace pour l’attente et par le cardinal pour n’avoir pas attendu.  Des deux côtés, l’abîme, la potence.

Un jeune individu s’approcha et appela Jupiter qui ne répondit pas.  Puis, impatienté :

– Michel Giborne !

Jupiter sursauta et vit le personnage vêtu de noir.

– Commencez, je me charge d’apaiser le bailli et le cardinal.

Rassuré, Jupiter annonça le départ dans une foule d’applaudissements. L’homme, sur le point de disparaître aussi mystérieusement qu’il était apparu, fut tiré de la pénombre par deux jeunes filles. L’une d’elle l’interpela.

-Messire, ma voisine veut vous parler.

– Non, pas, rougit Gisquette.

L’homme, désireux de lier conversation, sourit.

– Vous n’avez donc rien à me dire, mesdemoiselles ?

– Du tout, répondirent Gisquette et Liénarde.

L’homme fit un pas pour se retirer mais une des deux curieuses s’exclama, avec l’impétuosité d’une écluse qui s’ouvre :

– Messire, vous connaissez donc Jupiter ?

– Michel Giborne ? répondit l’anonyme, oui madame.

– Il a une fière barbe ! dit Liénarde.

– Cela sera-t-il beau ? demanda timidement Gisquette.

– Très beau, mademoiselle.

– Qu’est-ce que ce sera ? interrogea Liénarde.

– Le bon jugement de madame la vierge.

– Ah !

– …Moralité toute neuve qui n’a pas encore servi.

– Ce n’est donc pas celle, dit Gisquette, où il y avait trois belles filles qui faisaient personnages de…

– De sirènes, ajouta Liénarde.

– Et toutes nues, renchérit le jeune homme.

Gisquette et Liénarde baissèrent pudiquement les yeux. Il poursuivit.

– C’était chose bien plaisante à voir. La moralité est faite exprès pour madame la demoiselle de Flandre.

– Chantera-t-on des bergerettes ? demanda Gisquette.

– Fi ! il ne faut pas confondre les genres.

– Dommage, reprit Gisquette. Ce jour-là, à la fontaine du Ponceau, il y avait des sauvages qui se combattaient en chantant.

– Et plusieurs bas instruments qui rendaient de grandes mélodies, fit Liénarde.

Les deux jeunes filles continuèrent de se remémorer le spectacle.

– Ce sera plus beau aujourd’hui, conclut enfin leur interlocuteur avec impatience.

– Vous nous le promettez ? s’enquit Gisquette.

L’homme répondit avec une certaine emphase :

– Mesdemoiselles, c’est moi qui en suis l’auteur.

– Vraiment ? s’exclamèrent les jeunes filles tout ébahies.

– Je m’appelle Pierre Gringoire, affirma le poète avec autant de fierté que s’il eût dit s’appeler Pierre Corneille.

La foule, tout à l’heure tumultueuse, attendait à présent avec mansuétude, certaine que le mystère allait commencer. Tout à coup, une voix s’éleva :

– Holàhéhé ! Jupiter, madame la vierge ! Bateleurs du diable ! La pièce !

Il n’en fallut pas davantage. Une musique se fit entendre, la tapisserie se souleva ; quatre personnages bariolés et fardés en sortirent et, parvenus sur la plateforme supérieure, saluèrent le public.

Le mystère commençait au milieu d’un religieux silence.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut