Semeuses de mauvaises graines

Mimi la petite fée revint toute pensive de sa balade en forêt. Elle avait joué toute la matinée avec son copain escargot.  Entre deux glissades sur des feuilles du grand chêne, poussés par la rosée, René lui avait parlé de son amour pour la fée Margot.

Interloquée, Mimi n’avait pas répondu. Quelques jours plus tôt, Margot lui avait avoué son dégoût pour les escargots.

« Ils bavent trop et sont d’une lenteur accablante. Je préfère les grillons, ils avancent bien plus vite et sont plus amusants. »

Les fées, c’est bien connu, s’entichent souvent d’une petite bête des bois qui leur sert à la fois de compagnon et de monture pour se déplacer. Mimi, qui avait toujours vu René comme son compagnon à elle, s’était sentie trahie. Elle décida donc de s’enquérir auprès de sa maman et peut-être lui demander quelles graines magiques à faire croquer à René.

Sa maman la pris doucement sous son aile et lui raconta une histoire :

« Il y a très longtemps, le vieux roi d’Irlande épousa la princesse de Cornouaille pour créer une une alliance entre leurs deux pays. La jeune fille embarqua pour l’Irlande emportant avec elle de petits pochons de graines magiques, offerts par sa marraine la fée.

Le soir des noces, un grand banquet fut organisé. Le roi arriva avec sa suite. Nominoë fut subjuguée par l’apparition qui s’offrit à elle. Malheureusement, le beau jeune homme aux yeux émeraude et à la chevelure rousse qui fit instantanément battre son cœur, n’était pas le roi mais son fils ainé, Dualta. Le roi, quant à lui, était un gros veuf à longue barbe emmêlée dans laquelle logeait toute une famille de limaces. Nominoë réprima une moue de dégout quand elle comprit auquel des deux hommes elle était promise. Pendant toute la réception, elle ne put quitter le jeune prince des yeux. Quand celui-ci lui accorda enfin une danse, elle lui murmura à l’oreille :

« Prince, j’ai avec moi un philtre magique, à base de graines de cœur à franges ensanglantés et de fleurs cadavériques. Je vais en verser dans l’hydromel et une fois les invités assoupis, nous aurons la nuit pour nous. Rien à craindre, ils seront juste assommés pendant une dizaine d’heures. Surtout ne buvez pas. »

La princesse s’eclipsa sans qu’il eût le temps de répondre. Dualta était très embêté. Tromper son père ou risquer de se retrouver empoisonné ? Quel toupet, cette petite étrangère ! Du reste, elle était bien mignonne…

Perdu dans ses pensées, Dualta ne remarqua pas qu’un à un, les invités s’arrêtaient de danser. La musique, elle aussi, se tût. Le roi tomba, la tête dans son potage.

Quand tout fut calme et silencieux, Nominoë s’approcha à pas de velours et enlaça le jeune prince.  Oubliant bien vite toute retenue, ce dernier se laissa emporter, subjugué par la volonté de cette toute jeune reine. Ainsi, les deux amoureux se retrouvaient tous les jours à la nuit tombée et se séparaient tous les matins avant l’aube, après avoir porté le roi, encore inconscient au lit. Le vieil homme se réveillait tout heureux et n’osait  dire qu’il ne se souvenait jamais des nuits passées aux côtés de sa nouvelle épouse. Il avait bien trop peur que ce trou de mémoire ne fut dû à son grand âge. Jusqu’au jour où il finit par s’inquieter pour sa santé et décida de parler à son conseiller. Ce dernier, tout étonné, lui avoua souffrir des mêmes fatigue et perte de mémoire.

« Ça doit-être l’hydromel ! Je vais arrêter de boire un certain temps, s’écria le roi.

– Je me méfierais, répondit le conseiller. C’est étonnant que nous soyons tous dans le même état, dans ce pays où l’hydromel a toujours coulé à flots. À votre place, je ferais semblant de boire juste pour voir. Je crains que votre épouse ne nous joue un vilain tour à tous. Je me méfie d’elle.

Le soir venu, le roi réalisa avec effroi que sa femme remplissait sa coupe et l’incitait à boire. Il fit donc semblant de s’aviner et prétendit s’assoupir, tout en gardant un œil ouvert. C’est alors qu’il vit Nominoë prendre la main de Dualta. Le roi se leva d’un bond.

« Je vous y prends ! Que faites-vous tous les deux ?

– Une mère n’a-t-elle pas le droit de prendre la main de son fils ? Nominoë semblait offusquée et ses joues s’empourprèrent.

– J’allais le border dans son lit et lui fredonner une comptine pour l’endormir avant de vous rejoindre, très cher. »

Le roi la crut sur parole. Se sentant coupable d’avoir douté de sa femme, il fit mettre son conseiller au cachot pour avoir semé le doute dans sa tête et tout joyeux, se remit à boire tant et plus. Nominoë continua à passer ses nuits avec Dualta qui ne se maria jamais. »

La fée se tut et sourit à sa fille.

« Pourquoi m’as-tu raconté cette histoire ? demanda Mimi.

– Pour t’expliquer que les histoires d’amour sont tellement compliquées qu’il vaut mieux ne pas s’en mêler. L’ignorance est parfois la meilleure alliée. C’est pour cela que nous avons cessé d’intercéder auprès des humains qui nous ont taxées de semeuses de mauvaises graines, alors que nous ne faisions que céder à leurs caprices. Je te conseille de laisser aussi les escargots tranquilles et d’oublier celui qui soupire pour une autre.»

1 réflexion sur “Semeuses de mauvaises graines”

  1. Hello Agnès,
    Superbe histoire, j’ai beaucoup aimé.
    Ton histoire « Tu seras poussière », ça avance, retard à cause du covid, mais enregistrement en semaine de Noël, je croise les doigts:)

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