Séparations

Pitch:

Après le départ précipité de ses parents, Elisabeth se retrouve seule chez ses grands-parents. Son grand-père, tendre mais un peu maladroit essaie de l’apprivoiser. Malgré la froideur de sa grand-mère, une femme acariâtre et autoritaire, Elisabeth va tenter de se faire des amis afin d’échapper à la solitude.

Chapitre :

Pierre, qui avait attelé le cheval, attendait son frère et sa belle-sœur. Ils longèrent l’allée de pins en direction de la carriole, Louis donnant ses dernières recommandations à sa fille et Yona, marchant lentement au bras de son beau-père. La santé de de Yona s’était dégradée. Plusieurs fois, elle dû s’arrêter pour souffler. Inquiète, Elisabeth se tournait vers sa mère. Arrivés à la carriole, Pierre empoigna les quelques affaires des mains de son frère. Louis serra sa fille contre son cœur, l’embrassa tendrement avant d’aider son père et sa femme.

‒ Je reviens dès que je peux, promis. Maman a besoin de repos et de soins.

T’inquiète pas, petite, lui cria son oncle. Ta mère sera en de bonnes mains à Marseille. C’est un bon hôpital. On te la ramènera en pleine forme. »

Malgré la chaleur de l’été, Yona s’était emmitouflée dans son grand châle. Louis l’installa à l’arrière de la carriole. Elisabeth monta embrasser sa mère qui tourna la tête pour tousser dans un mouchoir.

‒ Maman ?

‒ Ne t’approche pas, ma chérie, je ne veux pas que tu sois malade, toi aussi.

Louis prit sa fille par la taille, la souleva bien haut en souriant, puis la reposa au sol et l’étreignit une dernière fois.

‒ Tu seras bien sage avec tes grands-parents, d’accord ?

Elisabeth hocha la tête et écarquilla les yeux  pour ne pas pleurer. Elle voulait se montrer forte. Le cœur serré, elle regarda ses parents et son oncle partir. Elle resta voir son  père lui faire signe jusqu’à ce qu’il disparaisse au coin de l’allée. Son grand-père lui tendit une main caleuse et ils retournèrent vers la maison en silence. Qu’allait-il faire de cette petite qu’il connaissait à peine ? Lui qui n’avait jamais eu de fille, se sentit à la fois gauche et attendri en présence de l’enfant.

‒ Ils sont partis ? Vous en avez mis du temps, l’allée n’est pas si longue, cria la grand-mère d’une voix nasillarde, la tête dans l’embrasure de la fenêtre.

‒ Tu peux parler, tu n’es même pas sortie, grommela le grand-père en lâchant subitement la main d’Elisabeth.

‒ Louis est à plat ventre devant les simagrées de sa femme. Ils seront de retour en un rien de temps. Elle a attrapé un courant d’air, voilà tout. J’espère tout de même que Pierre sera prudent en chemin.

Elisabeth avait l’impression que sa grand-mère se plaisait à critiquer sa mère. Il était pourtant évident qu’elle était souffrante et ne jouait pas la comédie. Pour ne plus l’entendre, elle courut chercher du réconfort dans son coin secret au fond du jardin. Il y avait là, dans un petit enclos, quelques lapins qu’elle était chargée de nourrir tous les jours. Elle avait été fière que ses grands-parents lui donnent cette responsabilité et, depuis son arrivée à la ferme, elle ne manquait jamais à la tâche. Tous les jours, elle venait s’occuper d’eux, leur tendait joyeusement les pelures de légumes. Un des lapins, moins sauvage que les autres, s’était approché petit à petit de l’enfant. Doucement, au fil des jours, Elisabeth l’avait apprivoisé, si bien qu’il avait fini par se laisser caresser et s’approchait d’elle quand il l’entendait arriver. C’était le plus gourmand et le plus dodu. Il se laissait même caresser sur le ventre et entre les oreilles. Secrètement, elle leur avait donné à chacun un prénom. Elle n’avait pas osé en parler à ses parents, ne sachant pas comment leur expliquer sa solitude depuis la disparition de son petit frère. C’était un sujet dont il ne fallait pas parler. Comme s’il allait revenir un jour. Ce dont on ne parlait pas n’existait pas, ne faisait plus mal. Elisabeth se sentait un peu moins seule avec ses petits compagnons. À eux, elle pouvait tout dire, ils ne la regardaient pas avec des yeux tristes et ne lui lançaient pas de reproches qu’elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait pas non plus jouer avec ses cousins, encore en pension. De toute façon, elle ne les avait jamais vus et craignait un peu de les rencontrer à l’arrivée des vacances. Elle savait qu’elle allait probablement être envoyée, elle aussi en pension à la rentrée prochaine. Il fallait qu’elle trouve le moyen de convaincre ses parents de la garder auprès d’eux. Pas question de partir au loin avec des cousins dont elle ne connaissait même pas le nom, de partager une chambre avec des  inconnues. Elle s’imaginait une prison, des châtiments corporels et des nuits dans des cachots, nourrie au pain noir. Elle regrettait d’avoir quitté son pays, mais elle n’avait personne à qui se confier. Alors, elle parlait de longues heures au lapin grassouillet pour lequel elle chipait même des carottes entières à la cuisine. Elle passait ainsi ses après-midi, allongée dans l’herbe, l’enclos grand ouvert. Les lapins sautaient autour d’elle et retournaient manger dans leur clapier.

Quelques jours passèrent ainsi sans autre activité. L’absence de ses parents pesait sur Elisabeth. Et si sa mère ne guérissait pas ? Elle avait peur de la perdre et de rester toute sa vie seule. Sa grand-mère, toujours occupée autour de la maison, était une femme austère et peu encline à la douceur. Elisabeth l’entendait venir au son des clefs qu’elle gardait autour de la taille sur une longue chaine en argent. Même la petite bonne s’immobilisait et baissait la tête au tintement du trousseau. L’aïeule ne semblait parler que pour donner des ordres. Le grand père, plus souriant n’avait pas beaucoup de temps à consacrer à sa petite-fille. Elle ne le voyait qu’aux moments des repas. Là, il se mettait à raconter des histoires et à rire d’une voix tonitruante. Elisabeth souriait timidement mais n’osait rien dire. Sa grand-mère avait assez répété que les enfants ne doivent pas parler à table.

« Elle ne dit jamais rien cette petite, s’écriait le patriarche. Le chat a volé ta langue ?

Elisabeth tirait doucement sa langue et la grand-mère s’écriait :

‒ Voyons, qu’est-ce que c’est que ces manières ?

Le grand-père riait à son tour.

‒ Tu t’inquiètes pour ta mère, pas vrai ? Moi, Princesse, je n’ai jamais été malade. Jamais vu de médecin et je ne m’en porte que mieux. Quand j’avais 17 ans, ton arrière-grand-mère m’avait obligé à consulter car elle me trouvait mélancolique et pâlot. Il m’a demandé ce qui n’allait pas. J’ai répondu que j’avais envie de baiser. Sais-tu ce qu’il m’a dit ? Eh bien baise, mon couillon ! J’ai suivi son conseil à la lettre ! Il n’y a plus de médecins remarquables comme cet homme-là.

Le grand-père éclata de rire et se tapa la cuisse de sa grosse main.

‒ Voyons, Antoine, ce n’est pas comme ça qu’on parle à une enfant, s’écria sa femme en rougissant et en se raidissant sur sa chaise.

Elisabeth sourit sans comprendre puis baissa la tête en apercevant les gros yeux de sa grand-mère.

‒ Tu as fini, tu peux te lever de table, dit-elle sèchement Je t’ai mis des pelures de côté dans la cuisine, pour les lapins. Dimanche prochain, ton oncle Marius vient. Nous ferons  un bon souper en son honneur. »

Elisabeth remercia sa grand-mère, fit une petite révérence à son grand-père qui répondit d’un clin d’œil et quitta la salle à manger. Du couloir, elle entendit sa grand-mère houspiller son mari pour sa vulgarité.

‒ Vu le temps qu’elle passe avec ses lapins, elle va bien finir par comprendre les choses de la vie, rigola le grand-père. Et toi, Louise, tu ne fais pas tant ta mijaurée, une fois dans la chambre.

‒ Antoine, vraiment tu n’es pas sortable !

Le dimanche matin, Elisabeth fut réveillé en grande pompe par sa grand-mère. Il fallait mettre ses plus beaux vêtements, bien se débarbouiller pour faire bonne impression à l´église.

‒ Je me doute bien que tu n’y as jamais mis les pieds, petite youpine. Es-tu seulement baptisée ? s’exclama t’elle en levant les bras au ciel. Mon Dieu, mon Dieu, je n’y avais même pas songé.  

Elle se signa avant de se pencher au-dessus de sa petite fille pour mieux lui attacher le col de sa robe. Elisabeth frissonna au contact de ses doigts glacés et osseux. Elle ne voulait pas y aller mais n’osait rien dire.

‒ N’oublie pas la génuflexion en entrant dans l’église. Et tu répondras « oui, mon père » si le curé s’adresse à toi.

‒ C’est ton papa ? s’écria Elisabeth avec étonnement.

‒ Quelle bécasse ! répondit la grand-mère en prenant appui sur l’épaule d’Elisabeth pour se redresser. Tu connais le père Marius ! C’est ton oncle, voyons !

Sans attendre de réponse, elle prit l’enfant par la main et la traina hors de la chambre sans cesser de parler. Elisabeth ne comprenait rien de toutes les recommandations que sa grand-mère radotait et n’avait qu’une envie, fuir au fond du jardin.

‒ Te rends-tu compte, Antoine, que cette petite n’est même pas baptisée ? C’est pour cela que sa mère est malade et que son frère est mort. Punition divine. Voilà ce que c’est que de vivre comme des païens !

Faisant mine de ne pas écouter, le grand-père mit son chapeau, prit sa canne et laissa passer sa femme et sa petite fille devant lui, puis leur emboita le pas en soupirant. Il tira une pipe de sa poche qu’il remit immédiatement, en apercevant le regard noir de sa femme.

‒ Oui, je sais on ne fume pas avant la messe, j’avais oublié. Quelles manies de bonnes-femmes !» marmonna-il avant que celle-ci eut pu dire un mot.

La messe fut d’un ennui terrible pour Elisabeth. Se lever, s’agenouiller, s’asseoir, se relever. Combien de fois avait-elle dû répéter ces mêmes mouvements ? Sans compter les coups de coudes de sa grand-mère quand elle faisait ses signes de croix à l’envers. Elle essayait de comprendre ce que le prêtre racontait, mais ces mélanges de français et de latin lui échappaient.

La célébration terminée, ils durent encore attendre un long moment. Le curé serrait la main des fidèles, leur parlait. La faim tourmentait Elisabeth qui n’avait rien avalé depuis la veille. Combien de temps allait-elle devoir attendre ? Elle ne savait que faire et observait du coin de l’œil son grand-père jouer avec sa pipe pour passer le temps. Sentant que sa petite-fille s’ennuyait, il s’approcha d’elle.

‒ Regarde, Elisabeth. Je vais te montrer quelque chose. Tu ne dis rien à ta grand-mère, hein ? Elle piquerait une de ses colères.

La pipe entre les dents, il dévissa le pommeau de sa canne et en sorti une toute petite fiole qu’il passa sous le nez de la fillette. La forte odeur d’alcool la fit reculer en plissant le nez. Le grand-père remit la fiole dans la canne  aussi vite qu’il l’avait sortie.

‒ Ça sent mauvais ! Qu’est-ce que c’est ?

‒ Cognac ! Et du bon. Ça rend la messe plus agréable.

Il passa un doigt sur sa bouche et tous deux eurent un sourire de complicité.

Ils rentrèrent enfin à la maison. Les adultes parlaient en savourant un minuscule verre de porto. Pierre arriva juste à temps pour passer à table. Elisabeth jeta un œil vers la porte dans l’espoir de voir entrer ses parents. Une seconde, le cœur battant, elle crut que les prières du matin avaient servi à quelque chose. Elle se sentit prête à prier tous les jours. Pierre, semblant lire dans le regard de sa nièce, souffla « bientôt ». Elle n’osa pas montrer sa déception. Elle resta debout dans le salon, sans savoir que faire. Les adultes causaient. Le grand-père, entre deux blagues sur la main d’œuvre, parlait avec son fils de l’exploitation, et la grand-mère, qui tenait les comptes, passait en revue les dépenses de la semaine.

Enfin, ils s’installèrent à table. La bonne posa un grand récipient sur la table et se retira en silence. La grand-mère se leva pour servir les convives un à un. Tous tendaient leurs assiettes qu’elle servait en ordre de l’âge, une louchée plus ou moins grande de son plat en sauce.

Un parfum de tomates et de thym s’élevait. La fumée enveloppait la grand-mère et la sueur perlait déjà à son front. Mais elle était fière de se trouver entre deux de ses fils et d’avoir de la bonne viande et du lard à leur servir. Cette nourriture provenant de leur terre et de leur labeur. Bientôt, on n’entendit que le tintement des couverts dans les assiettes. Après avoir tout avalé et saucé avec un morceau de pain, Elisabeth tendit timidement son assiette une deuxième fois à sa grand-mère.

‒ Ah ça me fait plaisir, je vois que tu as de l’appétit. Sa mère ne la nourris pas cette enfant, elle est toute menue !

Elisabeth fut si heureuse de voir sa grand-mère esquisser enfin un sourire qu’elle demanda :

‒ C’est très bon, Grand-mère. Qu’est-ce que c’est ?

‒ Ton lapin, ma chérie. Tu l’as si bien nourri qu’il était gras comme un cochon. Alors ce matin, couic.

Elle fit le geste de tordre un cou. Le visage d’Elisabeth se décomposa. Elle, lâcha son assiette qui retomba sur la nappe dans un bruit sourd, eut un haut le cœur et vomit sur le parquet de la salle à manger.

Elisabeth courut se réfugier dans sa chambre en sanglot.

‒ Qu’a-t-elle donc ? En voilà des façons ! Il y a des fessées qui se perdent ! » s’écria la grand-mère.

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