La promesse

Ce matin, comme à mon habitude, j’ouvre ma messagerie. Voilà plusieurs semaines que je n’ai pas de nouvelles de mon mari. Avant, il m’écrivait le plus souvent possible, pour me rassurer.

Je dois avouer que, même si j’aime l’appeler mon mari, nous ne sommes pas encore mariés. Nous avions prévu une grande fête. Naturellement, nous allions attendre la fin de ses études, car mes parents regardaient d’un mauvais œil le fait qu’il n’ait pas encore de situation. Je ne sais pas ce qui les mécontentait le plus : qu’il soit étranger, encore étudiant, ou pire, qu’il soit orthodoxe plutôt que catholique ? Ils tentaient de changer nos plans. Nous étions trop jeunes, il ne me méritait pas. Dans quelle foi allions-nous élever les enfants ? disaient-ils, eux qui ne mettaient  jamais les pieds à l’église.

Mes parents ont toujours été un peu vieux-jeu, même s’ils se disent ouverts, dans l’air du temps. J’espérais que la rencontre avec la belle- famille leur fasse changer d’avis. Anton ne voulait pas se marier sans la présence de ses parents. Cependant, avec la pandémie et leur refus de se vacciner, voyager était devenu difficile.

Grâce à mon travail et sa bourse d’études, nous avions réussi à mettre un peu d’argent de côté pour louer un petit deux-pièces ensemble. Plus question de continuer à vivre chez mes parents et de lui rendre visite dans sa minuscule chambre d’étudiant. La situation commença à s’améliorer, nous étions enfin prêts à choisir une date pour notre mariage. Mes parents commencèrent à se faire à l’idée. Je m’amusais à tout planifier. La cérémonie, ma robe discrète mais très jolie, avec des fleurs dans mes cheveux. Je lui apprenais des pas de danse dans la cuisine, pour ouvrir le bal.

 C’est alors que la guerre éclata. Quand il me dit qu’il partait se battre pour son pays, je n’y croyais pas ! Dans quel siècle vivions-nous ? Il n’avait jamais vu d’arme à feu.

« N’y vas pas, tu es fou. Tes parents peuvent venir ici, on a de la place pour  les accueillir.

-On va repousser l’invasion et, dans quelques semaines, je serai de retour.

-Ils peuvent prendre la chambre, on dormira dans le salon…

-Je te promets qu’on sera bientôt ensemble pour toujours », dit-il en m’embrassant.

Ces quelques mois furent les plus longs de ma vie. Comme promis, il m’envoyait des messages régulièrement, m’informant de son état de santé. Je suivais avec angoisse l’avancée du conflit, faisais des dons, assistais aux manifestations, mettais des drapeaux bleus et jaunes aux fenêtres. Toutes ces choses futiles qui donnent bonne conscience. Je voulais me convaincre que, d’une certaine façon, j’étais encore avec lui. Les longs courriels laissèrent places a de rapides SMS, puis plus rien. Jusqu’aujourd’hui.

 Le soleil était couché depuis un bon moment quand mon téléphone vibra. Dans quelques heures nous nous serions de nouveau réunis. Impossible de dormir ce soir-là. Je passai la nuit à faire tous les préparatifs pour mon départ. Je n’aurai pas le temps de passer voir mes parents, alors je rédigeai une lettre leur expliquant mon départ hâtif et leur demandant de me pardonner. J’enfilai alors la jolie robe que je portais le jour de notre rencontre. Dehors, l’été touchait à sa fin. Je montai tout en haut de l’immeuble et poussai la lourde porte qui permettait d’accéder au toit. Parfois, pendant le confinement, des voisins allaient bronzer là-haut. Moi, ça me donnait toujours le vertige.

 Mais maintenant, je n’y pense plus. Je veux voir une dernière fois le soleil se lever doucement sur la ville. Je regarde de loin les derniers fêtards rentrer en zigzagant dans la rue, un chien aboyer  dans une cour. Je m’installe tout au bord, sur le petit muret. De violet, le ciel se transforme en rose puis en orange. On dirait que la ville brûle. Puis, je ferme  les yeux et me jette en arrière, dans le vide. Une dernière inspiration avant de rejoindre Anton.

1 réflexion sur “La promesse”

  1. Bonjour Agnès,
    Dès le début on sent bien qu’un drame va se jouer, mais on n’imagine pas la chute. Le sujet certes d’actualité, est traité avec délicatesse, sans hémoglobine. Tu poses bien le contexte et l’ambiance dans lesquels vivent ses deux tourtereaux. Unis , ils le seront même par delà la mort. Toutefois , il n’est pas dit qu’Anton ait succombé aux atrocités de la guerre, ce qui rend la chute encore plus dramatique. Bravo, c’est toujours un plaisir que de te lire.

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