Départs

1.Carcavelos

Assise dans un café, au bord de la mer, je prends mon petit déjeuner en compagnie d’un livre. D’ici on n’entend plus le bruit de la route qui longe la côte. Juste le train qui passe régulièrement. Au début, je trouvais ce bruit insupportable. C’est devenu comme la sonnerie d’une vielle horloge qui marque les quarts d’heures. Le dos tourné à la gare de Carcavelos, je scrute l’horizon. Lisbonne au loin d’un côté et Cascais de l’autre. Quelques coureurs font leur exercice matinal. L’automne est ma saison préférée ici, car la plage et la promenade ne sont pas prises d’assaut par les touristes et les vacanciers. Seuls les étudiants de la nouvelle université traversent la rue pour prendre un bain de soleil entre deux cours. Quelle chance de pouvoir étudier ici. Je compte les surfeurs qui réussissent à prendre la vague, ceux qui tombent. Je rêvasse en prenant une grande bouffée d’air marin. A maresia, c’est tellement plus joli. Quand le brouillard n’est pas encore levé on peut même sentir des gouttelettes sur la peau. Je tends mes mains pour les attraper et respirer l’Atlantique sur ma paume. Le vent parfois apporte aussi les senteurs des pins et des eucalyptus du parc, et, quand le ciel est au gris, c’est comme une odeur d’enfance qui revient. Je sais à présent que si je nage tout droit jusqu’au bout du monde, je ne me retrouverai certainement pas au Brésil. Je demandais toujours à ma grand-mère si on arrivait au Canada en nageant tout droit de chez nous. Elle haussait les épaules en me regardant comme si j’étais une abrutie et ne répondait jamais. J’ai mis du temps à comprendre que si j’avais pu essayer, je ne serais pas allée plus loin que la baie de Douarnenez. Tout droit, on ne va nulle part. Il faut zigzaguer.

2.Morgat

Nous arrivions à Morgat au début de l’été. Mes grands-parents vivaient près du phare, dans le bois du Kador. Grand-mère venait nous chercher à la gare de Brest. Mon cœur battait dès que je l’apercevais dans la foule. Aux environs de Tal ar Groas, mon frère s’écriait :

« Le premier qui voit la mer a gagné ! »

Crozon…Morgat.

« J’ai gagné ! »

Ensuite nous montions la colline en direction du phare. Toutes fenêtres ouvertes, je respirais à plein poumons l’air de la mer, des pins et des fougères du bois, de la liberté. Je sortais mon bras pour sentir la brise sur ma peau. Allée du Phare. Quand la voiture s’arrêtait sur les gravillons, Grand père posait ses outils de jardinage. C’était l’heure de sa bière et de notre Canada Dry. Grand-mère s’autorisait un verre de « Tue la mort » pour éloigner l’Ankou et les lavandières de nuit. Je croyais que c’était une potion magique, je ne connaissais pas encore une certaine marque de Whiskey.

Ensuite, nous partions à l’aventure dans les bois. Première mission : rechercher le chemin qui menait au Calvaire, en fauchant les herbes hautes à coup de bâton. Puis, descendre jusqu’au port par la falaise et remonter en passant par la cheminée du Diable. Enfin, traverser le bois jusqu’à l’île Vierge où la lande était parsemée d’ajoncs qui sentaient la noix de coco et nous piquaient les mollets. Le dimanche, avec les cousines, nous ramassions des mûres pour faire une tarte. Plus d’une fois, la pâte que Grand-mère avait cuite en attendant notre retour n’avait qu’une seule mûre qui trônait au milieu car nous avions tout mangé en chemin. Elle rigolait en servant le dessert. Grand-père demandait où étaient passés les fruits. Notre plus jeune cousine, le regardait innocemment et répondait,

« Je ne sais pas. Un chevreuil a tout mangé peut-être ! »

  1. Guincho

« T’es sûr qu’on doit y aller ?

-Oui, tu sais très bien que c’est ce qu’elle voulait !

-Mais c’est le bout du monde là-bas. Quelle idée ! et il pleut tout le temps à Brest.

-T’as raison ! Mais après tout ce qu’elle a fait pour nous, on lui doit bien ça !

– Elle n’en saura jamais rien. »

Les deux frères se regardent et se font un clin d’œil malicieux comme quand ils étaient petits.  C’est décidé, ils n’iront pas jusqu’au Finistère. Après tout, l’océan est le même. Le Portugal fera très bien l’affaire et c’est ici qu’ils ont toujours vécu. Je les regarde de loin en souriant mais sans parvenir à leur dire que j’accepte leur idée. Nous sommes bien ici. Je baisse la tête et je serre bien fort la main de leur petit frère. Puis, je me penche vers lui pour le prendre dans mes bras. Je colle mon nez entre son cou et son épaule, là où il sent le vent et l’herbe fraîche. Depuis tout ce temps je n’ai jamais cessé de penser à lui. Ses frères sont grands, maintenant. Ils n’ont plus besoin de moi et je suis fière de voir les hommes qu’ils sont devenus. J’aurais juste aimé qu’ils connaissent aussi leur petit frère. Il leur ressemble tellement.

Les garçons ont pris leur décision. Le soir même, ils conduisent jusqu’aux dunes de Guincho. Leur père tient une petite urne sur ses genoux. Là, entre la forêt et la mer, ils savent qu’ils sont arrivés à l’endroit idéal. Ils ne remarquent pas que je suis près d’eux, que je les regarde tous trois respirer l’odeur des pins et de l’écume. « Ça sent Morgat, ici » disent-ils en cherchant le sens du vent. Doucement, ils ouvrent la boîte et mes cendres s’échappent en voltigeant, au rythme de la milonga que nous dansions leur père et moi, tous les soirs dans le salon avant que la musique ne s’arrête et que le silence ne s’installe entre nous.

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