Le Boucher de Rennes

« Demandez l’Ouest-Eclair ! Edition spéciale ! De nouveaux détails sur la femme assassinée à coups de hachoir. »

Casquette en travers de la tête, le jeune vendeur de journaux fait les cent pas devant le café place de la Mairie.

Le commissaire Gondelle sort en trombe.

« Donne-moi ce torchon !

‒ C’est 10 centimes, M’sieur l’commissaire.

‒ Pour ce tas d’immondices ?»  Gondelle jette une pièce au garçon.

De retour à sa table, il montre le journal à son acolyte. Le chef de sécurité, Henri Leroy le déplie et frisonne en se remémorant l’évènement.

Le 26 mars 1903, rue de la Monnaie, en plein centre-ville, Madame Coulange a été retrouvée morte dans son appartement, étendue sur le dos, près de la cheminée, la tête inclinée, reposant dans une mare de sang. Un hachoir de cuisine était encore planté dans son cou. Dans le salon, la veuve Coulange gisait dans une mare de sang, le corsage déboutonné, les jupes relevées au-dessus de sa tête. L’appartement empestait déjà le cadavre en putréfaction.

Le corps fut jeté sans cérémonie dans une voiture à bras et amené à l’amphithéâtre pour pratiquer l’autopsie.

« 26 ans qu’il n’y avait pas eu de meurtre à Rennes, ce n’est pas de chance, fait Leroy, pensif.

‒ L’Ouest-Eclair en fait ses choux gras ! Des trous à merdes, ces journalistes ! Toujours à fouiner partout.

Leroy lève les yeux du journal.

‒ En attendant, commissaire, l’appartement de la victime a été entièrement retourné et nous n’avons toujours aucune piste. J’ai interrogé la femme de ménage qui a confirmé que Mme Coulange était fort avare et cachait de l’argent et des actions un peu partout chez elle. »

Leroy se remémore l’appartement sans dessus-dessous. Un bric à brac d’objets épars sur le sol. Dans la chambre, l’armoire à glace était béante, tout son contenu répandu à terre. Dans une jolie boîte à bijoux cassée ne restaient que quelques colliers de pacotille et trois croix de la légion d’honneur ayant appartenu à l’époux de la victime, le capitaine Coulange.

« L’assassin est entré sans effraction, donc elle le connaissait. Il l’a assommée d’un coup de poing. Elle n’a pas eu le temps de crier.

‒ Avec la pluie battante de mercredi dernier, personne ne risquait d’entendre. C’était la nuit du fameux orage, Leroy. Alors, crime prémédité ? Impulsion ? »

Gondelle touille son café et suce le sucre collé à la petite cuiller. Il revoit l’hématome sur le visage de la veuve, sa poitrine lardée de petits coups de lame. Quel genre de sadique s’amuse à faire ça ? Comme si planter un canif dans la gorge de sa victime, avant de l’achever au hachoir ne suffisait pas.

Le café avalé, Gondelle se lisse la moustache, allume sa pipe et interrompt la lecture de son confrère.

« Y’a pas eu de viol. J’ten ficherais, moi un attentat immoral », grommelle-t-il en arrachant le journal des mains de Leroy.

Les deux hommes quittent le café et entrent à l’hôtel de ville, où se trouvent leurs bureaux, à deux pas de là. Un officier de police s’approche d’eux et leur tend un objet.

« Commissaire, on a retrouvé ce coffret en acier sous une planche du parquet de la victime. Il contient les valeurs en titres de la veuve Coulange.

‒ Le prétendu neveu qui voulait la voler est toujours en garde à vue ?

̶  Oui commissaire.

̶  Va le chercher.

Quelques minutes plus tard, le policier réapparait avec un jeune homme menotté, l’air fatigué et une barbe de trois jours.

‒ C’est ça que tu cherchais chez ta tante ? Le commissaire brandit la boîte.

L’homme secoue la tête.

‒ Tu as été aperçu mardi chez elle. Les voisins se sont plaints  d’une altercation. Tu cherchais ceci, avoue !

‒ Je ne suis pas allé chez ma tante. J’étais à Fougères toute la semaine. »

Leroy, qui était sorti chercher un dossier, revient horrifié.

‒ Commissaire, Il y a un nouveau cadavre dans la Vilaine, tout près d’ici, à la Prévalaye.

‒ Bon Dieu, c’est pas possible, s’écrit Gondelle ! J’en ai tout de même pas fini avec toi, fait-il au jeune homme, d’un ton accusateur.

Les deux hommes se dirigent jusqu’au bord de la rivière. Leroy retire péniblement le corps d’une femme, poignardée, elle aussi, le corsage ouvert et la jupe arrachée.

Connaissait-elle Mme Coulange ? Y a-t-il un lien entre la victime de la rue de la Monnaie et celle de la Vilaine ?

‒ Faites ramener le corps à l’amphithéâtre, murmure le commissaire.

La pluie se met à tomber sur les bords de la Vilaine quand Gondelle aperçoit un bout de tissu accroché à un bosquet.

‒ Un morceau de vieux paletot ! s’écrit-il. Vu l’état du tissu, le vêtement devait être bien usé.

Leroy tourne le bout de laine dans sa main. Le toucher est rugueux, de mauvaise qualité.

‒ Il me semble avoir vu un vêtement de cette couleur…Mais oui, le mendiant anarchiste qui traîne au jardin du Thabor ! »

Les deux hommes retournent au commissariat et font chercher le mendiant. L’homme arrive, menotté et l’air hagard. Son vieux paletot en laine rapiécé est bien déchiré et le morceau retrouvé au bord de la Vilaine colle parfaitement. Le mendiant nie tout. On lui a offert le paletot le matin même. Un policier le fouille et trouve, dans la doublure du paletot une jolie bourse contenant une grosse somme d’argent et une petite chaîne en or.

« D’où tiens-tu ça ? gronde le commissaire.

L’homme pâlit.

‒ Un type en noir m’as promis plein de pèze si j’l’aidais à foutre les boules à une vieille radine. Le pèze, j’m’en fous un peu mais j’ai accepté, pour rigoler. J’pensais pas qu’il irait aussi loin, je vous jure. Il parlait de vol d’héritage. J’ai pas tout saisi.  En plus, la vieille était pas seule. Il m’a demandé de m’débarrasser de l’autre pour brouiller les pistes. Le gars était possédé. Il les a torturées. J’avais la frousse, j’ai obéi. C’est tout.

‒ La femme que tu as jeté dans la Vilaine, qui était-ce ?

‒ Une sœur ou une cousine, j’sais pas.

Gondelle se retourne vers Leroy.

‒ Allez chercher le neveu. Je crains que la grande veuve ne reçoive bientôt de la visite. »

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