Weekend à Tarragone

Jordi Puig sortit du commissariat de Tarragone… C’est déjà un début.

J’ai laissé femme et enfants à la maison pour un weekend en Espagne avec deux potes d’enfance.  Ça fait un bail qu’on s’est pas vu. La famille, les soucis du quotidien, le temps qui file…Au programme : golf et bières à Tarragone. Rien d’autre. Si ce n’est l’écriture. J’espère bien qu’ils auront des petites anecdotes à me raconter, pour alimenter mon histoire et pimenter ma vie.

Arrivé au clubhouse, je m’installe dans un coin et scrute les alentours. J’étudie la texture des fauteuils, le physique des gens aux tables d’à côté. J’imagine leur vie et couche tout sur le papier. On sait jamais. J’ai écrit un roman il y a deux ans et depuis : trou noir. Panne d’inspiration. J´espère que ce weekend va me requinquer. C’est vrai que ma femme dépressive, les factures à payer et les écoles privées qui me coûtent une blinde, ne nourrissent pas beaucoup ma créativité.

« Salut !»

Yvan me claque la bise avant que j’aie pu réagir. Qu’est-ce qui lui prend ? Depuis quand on s’embrasse dans la conjoncture actuelle…entre mecs ?

Il est devant moi en col roulé noir et pantalon moulant orange. Des bracelets scintillent à ses bras. Son crâne rasé luit comme une boule de bowling.

«‘Jour, dis-je, un peu perturbé.

– Comment t’es sapé ? Tu te négliges, c´est plus trop fashion ta tenue ! Elle t’a jamais dit, ta femme ?

-…Non…

-En plus tu sens pas la rose ! George Lucas a dit que l’inspiration lui venait sous la douche, je sens que tu n’essaies pas souvent sa méthode. »

L’arrivée de JP met un terme à sa critique. Mais j’ai déjà ma scène d’ouverture. Je griffonne vite fait dans mon carnet.

Un homme avait été trouvé pendu avec sa ceinture dans une chambre d’hôtel. L’enquête commençait pour Jordi Puig.

« Salut les gars. J’ai soif. J’vais commander une bière. Je vous prends quoi ?

-Un gin-fizz, répond Yvan.

-Et toi, Jean ?

Je réfléchis. Que boirait Jordi Puig ? un café ? une bière ? Mon cerveau rouillé est braqué sur Yvan, son look et sa boisson de meuf.

-Magne-toi, j’ai fait toute la route de Perpignan jusqu’ici, sans boire.

-Un truc local, n’importe quoi…

JP fonce vers le bar.

Yvan se penche au-dessus de moi et me souffle dans la nuque.

– T’as vu ses cheveux ? Y’a un divot qu’est resté collé à son front depuis 1986 ou quoi ?»

 La victime, la cinquantaine, avait un début de calvitie sur les côtés avec une touffe de poils disgracieux sur le haut du crâne, un jean 70’s orange un peu juste et un sous-pull noir.

 Le voilà qui revient, une pinte et un paquet de chips sous le bras.

Il avale une grosse gorgée de bière et se lèche les lèvres. La serveuse arrive quelques instants plus tard et pose nos boissons sur la table.

« Qu’est-ce que c’est ? Je sniffe les volutes de mon gobelet.

Coctel con Vermut de Tarragona, dit la serveuse avec un petit clin d’œil espiègle. Vous n’avez pas visité la casa del Vermut ?

-Vous pouvez nous emmener une bouteille, qu’on goûte tous ?» s’écrie JP.

Je dois avouer que c’est bon.

Jordi Puig se servit un Vermut et se mit à réfléchir

Ça n’a pas de sens, qu’est-ce qu’il fout à boire devant un cadavre ?  Yvan a rapproché son fauteuil du mien. Ses bracelets et son patte d’eph’ qui lui colle aux couilles, ça me perturbe.

J’avale deux, trois verres et je décide d’aller taper des balles pour m’échauffer et me libérer l’esprit avant les 18 trous de demain matin.

« Solange a demandé le divorce », lance Yvan de but en blanc.

Je retombe d’un coup dans mon fauteuil club en simili cuir râpé que je venais de quitter.

« Faut arrêter de lui piquer ses bijoux et de boire des cocktails de meuf ! » s’esclaffe JP.

Yvan hausse les épaules.

« Et toi, c’est pour pas qu’elle puisse te quitter que tu t’es greffé son…

– On se calme !»

Jordi Puig ne supportait pas la vulgarité des clients de l’hôtel.

« Bon, tu vas arrêter de noter tout ce qu’on dit dans ton p’tit carnet ? » JP a toujours eu le vin mauvais.

Retrouver des amis après toute une génération d’absence n’apporte que des déceptions, se disait Jordi Puig en sirotant son v…

JP m’arrache le carnet des mains. Je déteste qu’on lise mes premiers jets, c’est une atteinte à mon imagination. On s’engueule.

Après une deuxième bouteille, le divorce est oublié, le carnet récupéré.

Meurtre ou suicide ? Jordi Puig fouillait la chambre à la recherche d’un indice.

Yvan propose de monter les sacs dans la chambre et de se refaire une beauté avant de sortir dîner en ville.

« J’fais quelques putts et j’vous rejoins », dis-je avant de m’éclipser, enfin.

Une heure plus tard, je frappe à la porte. Yvan ouvre, en tenue d’Adam. Je regrette tout de suite la chambre triple. Pour une fois, j’aurais pas dû regarder à la dépense.

« Ah c’est toi ! Viens vite m’aider, y’a une grosse araignée derrière la table de nuit.

Yvan part vers le lit et se penche en avant. Je frôle la crise cardiaque.

-Viens l’écraser, supplie-t-il.

J’ose pas ouvrir les yeux.

-Il est où JP ? dis-je d’une voix étranglée.

-Il est toujours en bas, à picoler. Il aurait pas un problème d’alcoolisme ?

-Et toi, t’as pas un problème d’exhibitionnisme ?»

Je claque la porte et dévale les escaliers. Il me faut quelque chose de fort pour chasser cette horreur de ma tête.

Jordi Puig  interrogea la femme de chambre qui restait traumatisée par un viol commis dans le ce même hôtel dix ans auparavant…

JP est toujours là, affalé sur le comptoir, en compagnie d’un cadavre de Vermut.

Le temps avait passé mais derrière les rides et la calvitie, aucun doute. Flash-back 10 ans plus tôt. L’agresseur portait le même pantalon orange.

Le coude de JP rate le comptoir et il pique du nez avant de relever la tête avec un grand sourire. Ses yeux sont vitreux. Il bave et s’essuie la bouche avec le dos de la main.

 Jordi Puig se dit qu’avec ce début d’enquête il n’était pas près d’aller dîner. Il commanda un vermut et un sandwich au bar de l’hôtel avant d’interroger les employés…

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